Croisements

Mécaoliques

Mémoire 80 pages, livret reliés et dépliants, 2020

C’est en voulant prendre le contrepied d’un projet de fontaines pour enfants, lors d’un Erasmus en design industriel à Montréal, que me vient le désir de produire des systèmes hydrauliques. Je pensais alors à un assemblage de plaques pouvant être mises en mouvement par le déplacement de personnes et fonctionnant avec un minimum d’eau. À mon retour en Belgique, n’ayant pas les moyens techniques pour réaliser une telle fontaine, je me suis concentré sur plusieurs maquettes à différentes échelles mettant en scène la poétique du mouvement de ce projet. Elles étaient dépourvues d’eau et donc n’étaient pas encore des fontaines. J’ai réfléchi à comment les rendrent mobiles. Au-delà du mouvement, celles-ci entrent en déambulation dans la ville et ainsi ouvrent un dialogue avec les différents endroits où elles passent plutôt que de rester stationnaires. Mon projet de fin d’études présente différents dispositifs de fontaines mobiles hybridant des forces mécaniques et hydrauliques pour déplacer et mettre en mouvement à la fois le contenant et le contenu. Le mouvement de la fontaine génère l’énergie nécessaire à l’écoulement de l’eau. Ce sont des croisements «mécaoliques», la contraction des mots mécanique et hydraulique. Pour imaginer différents prototypes et de manière à mettre en place différentes contraintes, j’ai mis au point un tableau de croisement rassemblant des listes de principes hydrauliques et mécaniques. À chaque croisement se trouve une case, vide ou pleine, qui représente un possible prototype de fontaine mobile, fonctionnel ou impossible, concret ou rêvé, en cours de réalisation ou terminé. Chaque hybridation conduit à l’entrelacement de deux appellations pour créer un nouveau nom. Plusieurs enjeux sont apparus et se sont confirmés durant l’année. D’abord, déplacer des objets, des corps et de l’eau dans la ville, s’intégrer à la circulation, interroger l’ancrage au sol ou la mobilité de ces éléments du paysage urbain. Puis, un autre enjeu important est écologique : comprendre et désamorcer le rapport de surproduction et de marchandisation de l’eau. Enfin, apprendre à construire, fabriquer et assembler ces objets. Bref, dans la logique du «do it yourself», répondre aux besoins en sortant de la consommation normée. Par ailleurs une question qui est devenue centrale au cours de l’année : à quel point le dysfonctionnement d’un prototype permet il d’aboutir à un résultat final? Que peut exprimer la fragilité d’un mécanisme?

Monocyompe

Monocyle / PVC/ pompe / eau / 2019

Une roue en mouvement génère à l’aide d’une pompe la pression nécessaire à l’eau pour s’échapper de son contenant. Après des premiers tests et réglages, je me suis rendu compte de plusieurs incohérences avec les principes que je voulais mettre en place pour mon projet. Les matériaux utilisés pour les récipients sont en PVC, pratiques pour permettre la pression mais pas ou peu recyclables. Et l’eau utilisée n’est pas récupérée. Bien que les traces laissées au sol puissent avoir une valeur graphique, elle exposent surtout un gaspillage de l’eau plutôt que son économie.Mais en terme d’hybridation, c’est une introduction pertinente au projet de Croisements Mécaoliques.

Cargovis

Vélo / bois / acier / impressions 3D / eau / 2020

Ce fut un long processus pour aboutir à l’écoulement de quelques gouttes, timides, le long de ce tube d’aluminium. Le Cargovis est le premier prototype issu du tableau croisé. Il s’agit ici d’avoir une fontaine mobile plus accessible dans sa manipulation, plus ludique, que tout le monde peut utiliser. Pour cette deuxième fontaine mobile, je voulais rendre le mouvement de l’eau plus visible et créer un circuit fermé. Malgré de légères fuites qui s’échappent de la prolongation des engrenages, l’eau remonte par la vis sans fin puis retombe dans le bac. Chaque pièce en bois, acier, alu ou impression 3D a été usinée sur mesure pour s’imbriquer maladroitement dans l’ensemble. Ça grince, ça craque, ça fuit mais ça coule. La fragilité est une nouvelle étape dans mon apprentissage de la construction. Le Cargovis fonctionne toujours, pour le moment.

Brodétat

Bois / acier / tissu / eau / 2020

Comment arriver au croisement entre un cercle à broder et une sphère d’agar-agar ? Initialement je voulais trouver un moyen de jouer avec l’eau, de la faire circuler entre plusieurs personnes, de créer un échange mais sans gaspillage. J’ai pensé à une bataille d’eau sans se mouiller. J’ai d’abord réfléchi à une raquette inspirée de la pelote basque, qui puisse canaliser l’eau de manière à ne pas provoquer d’éclaboussures . Puis j’ai opté pour le changement d’état, du liquide au solide. Les glaçons, en extérieur, étaient trop éphémères . J’ai alors découvert l’agar-agar, qui permet une gélification des liquides. Comme la glace, ce changement d’état est  réversible, mais la matière résiste plus longtemps. Pour les raquettes, le tissu paraissait approprié, pour ne pas trop contraindre les balles. Le maniement de la raquette se rapproche du bilboquet, il faut à la fois être précautionneux et vif, accompagner au maximum la balle. Cela crée des mouvements singuliers.

Rolledouf

Bois / tissu / eau / 2020

Cette hybridation a émergé du tableau de croisement, Et répondait à un désir de travailler une grande structure. J’aimais aussi l’idée d’aller glaner mes matériaux dans la forêt. En comparaison aux autres fontaines mobiles, le Rolledouf est moins concerné par le contrôle et l’orientation des flux. C’est un accompagnateur de fuite. Ses mouvements sont lents et infléchis par l’eau. Il réceptionne le liquide, goutte par goutte dans un petit hamac de tissus. En appui sur la base de la structure on peut déplacer le Rolledouf grâce aux rollers. Une fois en place sous un écoulement vertical, c’est tout un jeu de manipulations afin de trouver l’équilibre du balancier. Une opération à la fois complexe et absurde en regard de l’apparente insignifiance d’une goutte d’eau.

© Nathan Lerat. 2021. Tous droits réservés.